Saturday, March 29, 2008

Reproduction, mensonges et mousse au chocolat

Billet radiophonique lu ce matin à l'émission Nulle part ailleurs (Radio-Canada, Sudbury). Le billet audio sera en ligne sur le site de l'émission plus tard aujourd'hui.

Et aussi, si vous n'avez pas encore voté pour votre livre favori (je parle du mien ;-)) dans le cadre du grand prix littéraire Archambault, il ne reste que quelques jours pour le faire!

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Moi, je dois vous dire franchement, en tant que parent, je ne crois plus tellement à l’honnêteté.

Bon, c’est connu, on se laisse tous aller parfois à quelques mensonges qui facilitent la vie en société : vous savez, quand on dit des choses comme « oui, moi ça va très, très bien! » ou « le chien a mangé mon rapport urgent », ou bien « chéri, j’espère que c’était aussi bon pour toi que pour moi »... Avouons-le, nous chérissons le petit mensonge innocent, si utile pour huiler les rouages d’une vie déjà tellement compliquée.

Mais devenir parent, c’est se découvrir un instinct féroce pour le mensonge. Pire que tout ce que vous pouviez imaginer. Se transformer en véritables machines à tromperies, voilà le destin qui nous attend.

Déjà, être enceinte est un merveilleux moment pour commencer une nouvelle vie de mystification. Un souper interminable chez de vagues collègues de travail, et vous voilà portant une faible main à vos sourcils froncés : « Je ne sais pas si c’est la grossesse, mais je suis terriblement fatiguée. Cette soirée est absolument magique, mais je crois qu’il vaut mieux rentrer à la maison. Nous pouvons amener notre portion de mousse au chocolat avec nous, si vous insistez... » Vous voilà donc dans votre lit à neuf heures et demie. Crevée de fatigue, vous plongez immédiatement dans un sommeil lourd, n’est-ce pas? Pas du tout! En réalité, vous êtes en pleine forme et vous profitez de votre liberté retrouvée pour écouter en rafale des épisodes de Lost jusqu’à une heure du matin. La mousse au chocolat est divine, et le plat dans lequel vos hôtes vous l’ont gentiment offerte est tout à fait charmant. Vous prétexterez l’avoir brisé afin de ne jamais avoir à le rendre. Crédules comme vous les connaissez, ils ne se douteront de rien.

Voyez comme déjà la maternité instille en vous des instincts bas et manipulateurs! Et, mes chers amis, ce n’est qu’un début.

Lorsque vous avez accouché, vous continuez votre vie de mensonge. « Quel beau bébé! », s’exclament les gens autour de vous. « C’est un vrai petit paquet d’amour, hein, un bébé? Tu dois être tellement heureuse! » Le petit paquet d’amour, il ne dort que trois heures par nuit, vous ravage les mamelons avec sa soif incessante et vous entretient le post-partum à coup de coliques aiguës pendant deux heures chaque soir, mais vous répondez avec un sourire extasié que oui, votre nouvelle vie est merveilleuse. Fantastique. Un vrai rêve rose. Puis, vous prétextez (encore un mensonge) une envie pressante et vous vous précipitez aux toilettes pour enfoncer sauvagement des aiguilles dans votre poupée vaudou de secours, en maudissant ces jovialistes qui ne feront même pas la vaisselle avant de partir.

Votre bébé grandit, et ensuite, la garderie constitue une mine inépuisable d’occasions pour pratiquer votre nouveau sport favori. Lorsqu’une éducatrice cernée vous demande si Bébé, par hasard, aurait commencé ces derniers temps à faire des caprices pour tout et pour rien, vous répondez, les yeux clairs et la voix pure, que « Non, c’est étrange, Bébé n’a pas récemment adopté un tel comportement à la maison ». En fait, ce que vous taisez farouchement, c’est que Bébé, depuis qu’elle a fait la transition utérus-atmosphère, vous empoisonne constamment la vie avec ses demandes toutes plus extravagantes les unes que les autres. Par exemple, oui, vous laissez Bébé s’enfoncer des asperges dans les oreilles pour jouer à Jojo le lapin vert parce que vous en avez tout simplement marre de vous battre. Enfin bref, elles ne datent pas d’hier, ces fantaisies grotesques, et strictement parlant, c’est donc une demi-vérité que vous avez dite à l’éducatrice. Mais derrière toute grande demi-vérité se cache un énorme demi-mensonge duquel, avouez-le, vous ne pouvez plus vous passer.

Rappelez-vous votre dernière visite au centre dentaire. Deux nouvelles caries chez Junior? Comment diable est-ce possible? « Vous lui passez la soie dentaire tous les soirs, n’est-ce pas? », vous demande le dentiste. La soie dentaire! Mais oui, vous la lui passez! Enfin, vous la lui avez déjà passée... Une fois. Vous avez encore les marques de morsures sur vos doigts pour en témoigner. Maintenant, vous la lui passez sous le nez, en espérant qu’il comprenne un jour comment s’en servir. « Lui offrez-vous des sucreries? », poursuit le bon docteur. « Des sucreries? » Vous battez convulsivement des paupières le temps de vous donner une contenance. « Euh, des sucreries? Non, je ne vois pas... Des fruits, parfois des cacahouètes... » Des cacahouètes enrobées de chocolat, oui! Et parfois, en guise de fruits, ces petits bonbons en forme de framboises que vous adoriez petite, que vous adorez toujours, et qui causeront encore certainement des tas d’ennuis dans votre secteur buccal et celui de vos héritiers.

Certains nullipares outragés par ces fourberies se demanderont à ce stade si nous osons aussi mentir à nos enfants. Mais tout le temps, voyons! Je ne voudrais pas révéler toute l’étendue de notre hypocrisie parentale à la radio, pendant les heures d’écoute familiales; j’aurais trop peur des poursuites. Je préfère carrément changer de sujet. Tiens, le Père Noël, il est passé chez vous cette année? Et le lapin de Pâques? Et la fée des dents? Oui, n’est-ce pas? Ils sont tellement fiables, les bougres, s’ils n’existaient pas, faudrait les inventer.

Bon, je m’amuse follement avec vous, cette matinée est absolument magique, mais voyez-vous, y’a la petite qui a mangé le chien qui avait mangé mon rapport urgent et... euh... je dois absolument y aller. J’espère que c’était aussi bon pour vous que pour moi...

Friday, March 28, 2008

Billet de demain

Le billet radiophonique de demain sera présenté à 8h20 à l'émission Nulle part ailleurs. J'y parle d'honnêteté... enfin, plutôt de l'absence de celle-ci, et du fait que tous les parents deviennent de fieffés menteurs...

Le billet écrit sera disponible sur le site après l'émission.

Bon week-end!

Saturday, March 15, 2008

À la recherche de l'élégance perdue

Billet radiophonique lu ce matin à l'émission Nulle part ailleurs (Radio-Canada, Sudbury). Le billet audio sera en ligne sur le site de l'émission plus tard aujourd'hui.

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Moi, je dois vous dire franchement, en tant que parent, je ne crois plus tellement à l’élégance.

Songez aux deux gestes cruciaux qui définissent les êtres humains depuis des millénaires : s’habiller, se déshabiller. Il arrive qu’on essaie de le faire avec élégance, une tâche parfois ardue, mais somme toute agréable. Cependant, quand on a des enfants, on se rend compte que se vêtir et se dévêtir avec élégance peut devenir un combat contre les forces d’un mal sournois, j’ai nommé : le mal habillé.

Sans enfants, ah, sans enfants... Je songe à ma vingtaine, et je revois cette jeune femme butinant dans sa garde-robe, examinant chaque morceau d’un oeil critique mais avec le coeur plein d’espoir, sortant d’un ensemble coordonné pour mieux entrer dans un autre, se changeant entre 10 et 150 fois afin d’être la plus belle pour aller danser...

Aujourd’hui, si je me change entre 10 et 150 fois, c’est parce qu’un bébé a régurgité sur mon chandail ou est venu se moucher dans ma jupe. Encore et encore. Et si je danse, c’est avant de sortir, et pour éviter les doigts pleins de confiture d’une fillette qui se découvre des envies de câlins post-tartine.

Sans enfants, ah, sans enfants! On collectionne des sous-vêtements sexy qui nous donnent l’air et les ailes d’un oiseau des Caraïbes. La beauté intérieure? On s’en moque. On n’a pas besoin de se sentir belle à l’intérieur, on rayonne suffisamment dans notre micro soutien-gorge en dentelle rose qui arriverait à peine à soutenir notre abondante poitrine si celle-ci ne se soutenait pas déjà fièrement toute seule. Et dans notre string léopard, on a certes peur des courants d’air, mais on est prête à toute éventualité.

Après les enfants, hof, après les enfants... Notre beauté intérieure, mesdames, c’est tout ce qu’il nous reste. Nos sous-vêtements sexy? Nos enfants s'amusent avec. Quoi de mieux qu’un soutien-gorge en dentelle rose pour simuler le bonnet de nuit de poupée Cendrillon? De toute manière, après l’allaitement, on a pratiquement besoin d’un corset en acier galvanisé pour redonner un peu de oumph! à ces deux inconnus qui se sont lâchement rapprochés du centre de gravité terrestre sans nous demander notre avis. Quant à notre string léopard, ne dirait-on pas qu’il a été créé exprès pour remplacer les courroies défectueuses de la poussette de Barbie?

Sans les enfants... (soupir). Sans les enfants, notre amoureux nous trouve à croquer dans notre nouvelle robe à fleurs et nos escarpins chics. Paradoxalement, cette admiration provoque en lui l’envie de nous dévêtir sauvagement afin de nous interpréter la « Flûte enchantée » version 18 ans et plus. Ce à quoi nous acquiesçons, n’est-ce pas, mesdames? Tout ce qu’on risque, c’est que notre jolie robe à fleurs soit un peu froissée, mais ce sera amplement compensé par le rose délicieux qui nous montera aux joues.

Les enfants, bien, les enfants... Eux aussi, ils nous trouvent belle. Surtout les petites filles. Et les petites filles aussi veulent nous déshabiller. Pour nous piquer nos trucs! Pour parader dans la cuisine en faisant clic-clac, clic-clac avec nos escarpins que nous retrouverons plus tard remplis de confiture. Pour tournoyer dans notre belle robe à fleurs, si jolie, tout en profitant de l’occasion pour se moucher le trop-plein dans la manche.

Je sais de source sûre que certaines parmi nous ont eu l’audace de se rebeller. Que certaines mères, dont j’admire le courage, ont refusé de céder leurs habits de bal à leurs fillettes revendicatrices. Mais alors là, les petites, elles se mettent à pleurer, et Maman les prend dans ses bras, et elles finissent quand même par se moucher dans sa manche, les vauriennes.

Je pourrais continuer comme ça indéfiniment. Sans enfants, on se remonte les cheveux dans un chignon négligé qui dénudera notre gracieux cou de gazelle. Avec les enfants, on s’attache les cheveux n’importe comment, soit pour ne pas se les faire arracher, soit pour ne pas laisser deviner qu’on n’a pas eu le temps de se coiffer pendant les 4 dernières années. Autant se le dire entre nous, ça ne fonctionne pas du tout : on a quand même toujours l’air de s’être pris la perruque dans le ventilateur.

Quant au parfum, vous avez autrefois utilisé ce précieux liquide afin que ses effluves enivrants attirent auprès de vous le meilleur géniteur possible pour la reproduction de l’espèce. Votre manoeuvre ayant porté ses fruits, vous voilà maintenant réduite à vous en asperger afin de camoufler la petite odeur de lait caillé qui semble dorénavant vous suivre partout. Et là non plus, ça ne fonctionne pas.

Finalement, être mère, c’est comme vivre la vie de Cendrillon, mais au complet . Ils vécurent heureux, ils eurent beaucoup d’enfants, et Cendrillon se retrouva à faire le ménage en haillons comme dans le bon vieux temps. Allons, soyons modernes : le Prince aussi.

Ceci dit, nous serions bêtes de concéder la victoire sans nous battre. C’est pourquoi je m’apprête illico à aller me dénicher une jolie petite robe fleurie que je jure de porter l’été prochain pour aller danser, quitte à l’enfiler en cachette, sur le siège arrière de la voiture.

Pourvu qu’il n’y traîne pas une vieille tartine.

Friday, March 14, 2008

Lu dans La Presse de ce matin

Dans le budget, il paraît que "la ministre offre une hausse du crédit d'impôt pour frais de garde. Les parents de 93 000 enfants bénéficieront de la mesure."

Vous faites comme vous voulez, mais moi, j'arrête quand même à deux.

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Ceci dit, demain matin, vers 9h15, ma chronique radiophonique d'Humeurs indignes traitera d'élégance. Avec un grand "Euh". Le technicien (23 ans, toutes ses dents, 0 enfant) m'a confié à la fin que "ça n'était pas très encourageant". M'enfin, vous déciderez pour vous-mêmes...

Je publierai le texte demain en fin de journée. La chronique elle-même sera disponible sur le site de Radio-Canada après l'émission.

Thursday, March 06, 2008

Non, ce pays n'est pas pour la self-estime

Bébé me tend une petite coccinelle bleue en caoutchouc qu'elle a volée dans un jeu appartenant à sa grande soeur. (Bon, je dis "volée", mais j'ai tort, puisque pour Bébé, l'Univers et toutes ses créatures lui appartiennent de droit.)

-- Tins, Maman.

-- Oh, une coccinelle!

-- NON! (Crétine!) C'é PAS une cossinelle! C'é un bôôôôbô.

-- Ah! Un bonbon. Bien sûr. Un beau bonbon bleu. C'est pour moi?

-- Ui.

Je porte la cocci-- pardon, le bonbon, à cinq centimètres de ma bouche et roule des yeux en signe de fervente délectation.

-- Mmm! Que c'est bon! Crounch, crou--

-- NAOOOOOOON! (Imbécile!) Faut san-semblant!

-- Heu, oui, évidemment, faut faire semblant. C'est ce que je...

-- Faut SAN-SEMBLANT! (Bordel!) Cô ça!

Bébé m'arrache des mains l'objet du litige et, me regardant de l'air de dire "observe et tire des leçons, espèce de tarée", se met à faire "crounch crounch" en tenant la coccinelle (pardon, le bonbon, je n'apprendrai jamais) à un bon 30 centimètres de sa bouche. Voilà, Maman, comment on san-semblant.

Non mais.

Ensuite, Bébé replace délicatement le "bonbon" sur la table et me jette un regard d'avertissement.

-- Toupa.

-- Touche pas? D'accord, Maman n'y touchera pas.

Sauf que, tout de suite après, Bébé me regarde de l'air d'un revendeur de Xanax qui rencontrerait Carla Bruni six mois après son mariage. Suave. Assuré de faire une vente.

-- Oh! Gad', Maman! Un bôbô pou touâââ!

Un bonbon? Pour moi??

-- Oh, un bonbon pour moi! Merci Chérie! Je vais bien faire san-semblant, regarde!

Je m'empare de la coccin--

-- NOOOOOON!!! TOUPA, Z'AI DIT!!! TOUPAAAAA!

Bon sang! Je... Je viens de me faire avoir comme une débutante!

Retour de la coccinelle sur la table. Et retour de l'air suave chez l'héritière fourbe. Qui me murmure d'une voix invitante:

-- Rhôôôô... Gad' Maman... Un beau bôbô pou TOUA!

La tentation est énorme. La pression, étouffante. Mais trop d'intérêts sont en jeu. Ne. Pas. Flancher. Sous le regard vigilant de Bébé, je reste par-fai-te-ment immobile. Deux, trois... cinq longues secondes.

Et, sur les jolies lèvres roses de Bébé, naît ce qui ne peut être qualifié que de rictus de satisfaction.

Elle n'a pas dit "Excellent, Fido, nous finirons par faire quelque chose de toi. Et maintenant, cou-couche panier". Non. La vraie femelle alpha n'a point besoin d'enfoncer le clou.

Mais, devant vous, je fais cette promesse solennelle: lorsque, un jour, Bébé me traînera dans les concours d'obéissance canine, j'irai pas la chercher, la ba-balle.

Non mais.

Sunday, March 02, 2008

Pour en finir avec le bricolage

Second billet radiophonique lu à l'émission Nulle part ailleurs (Radio-Canada, Sudbury).

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Moi, je dois vous dire franchement, en tant que parent, je ne crois plus tellement à l’art.

C’est pas que je ne trouve pas de mérite aux toiles de Picasso ou de Monet. C’est juste que je ne peux pas voir une de leurs toiles sans penser à ce qu’ils ont dû faire endurer à leurs parents quand ils étaient petits, côté bricolage.

Parce que moi, je déteste le bricolage.

En fait, non, je ne déteste pas le bricolage. Ce que je ne peux pas supporter, c’est qu’on fasse faire du bricolage aux enfants pour les mauvaises raisons. Est-ce que quelqu’un parmi vous croit réellement que jouer avec de la colle, du papier journal chiffonné et des boules de ouate aide à développer chez les enfants leur sens artistique? Mettons quelque chose au clair : des rouleaux de papier de toilette et des boîtes d’oeufs vide, ça n’est pas artistique.

C’est laid.

Si votre enfant vous demande s’il peut faire du bricolage avec le contenu du bac à recyclage, dites NON! Parce que non seulement rien ne ressemble plus à un rouleau de papier de toilette vide qu’un bricolage fait en rouleau de papier de toilette vide, mais en plus, comme les fameux rouleaux de papier de toilette auront, dans la tête de votre artiste en herbe, accédé au statut d’ART, ça sera ensuite impossible pour vous de remettre le bricolage à l’endroit qui lui convient, c’est-à-dire dans le bac à recyclage. Vous devrez laisser traîner, pardon, trôner ces oeuvres dans les rayons de votre bibliothèque et vos amis riront de votre bordel dans votre dos pendant des années.

Mais, me répliqueront certains idéalistes qui ne se sont pas encore reproduits, peut-être que le bricolage sert à développer la dextérité des tout-petits? Peut-être que découper du carton ou jouer avec de la pâte à modeler prépare en fait nos enfants à gagner leur vie en faisant de vrais métiers, comme chirurgien ou réparateur de nids de poule?

Je vais vous dire une chose, messieurs-dames qui n’y connaissez rien aux enfants, au bricolage et à leurs périls combinés : ce genre d’activité développe certes l’habileté manuelle, mais pas celle des enfants, non. Celle des parents. Et quand on est un parent qui se démène pour terminer le souper, se faire demander : « Maman, qu’est-ce que ça veut dire « Colle les cercles l'un au-dessus de l'autre en faisant coïncider les pliures »? », ça... comment dire... ça nous fait vraiment rêver à un monde sans papier de construction.

Mettons les choses au clair : quand vous voulez faire un cadeau à votre nièce de 7 ans et que c’est écrit sur la boîte : « Magnifique chat 3D à assembler, 153 morceaux, 8 ans et plus, assistance parentale peut être requise », vous n’achetez pas. Vous. N’achetez. Pas. Bien sûr, votre nièce deviendrait votre amie pour la vie. Mais vous brûleriez aussi tous les ponts entre vous et ses parents, c’est-à-dire les personnes qui comptent vraiment. Car ce sont nous, et pas les enfants, qui avons le pouvoir de vous inviter à souper ou de vous prêter de l’argent.

La grande différence entre nous et les enfants, c’est que les enfants, ils veulent avoir leur chat 3D mais ils ne sont pas capables de le faire. Nous, les parents, on est capable de faire coïncider les pliures, mais on n’en a rien à cirer du chat 3D. On a d’ailleurs remarqué son air vaguement hébété d’animal dont les parties intimes ont été éparpillées dans une boîte et portent maintenant les numéros 12, 34 et 126. Et on n’en veut pas sur les tablettes de notre bibliothèque.

Oubliez le sens artistique et la dextérité. La seule et unique bonne raison pour mettre un pinceau dans la main d’un enfant, c’est que ça nous libère un quinze minutes pour finir notre roman policier ou nous servir un apéro.

Et comprendre ça, c’est s’ouvrir à une toute nouvelle manière d’aborder le bricolage. Puisque le vrai objectif est désormais de gagner du temps, on ne se casse plus la tête à trouver des endroits propices à faire sécher les peintures hideuses de Junior. On les empile plutôt les unes par-dessus les autres, encore humides des envolées van goghiennes de notre progéniture, afin qu’elles sèchent en petits tas pratiques, jetables à la poubelle en une seule étape facile. (Enfin, en deux étapes : car il faut en plus enterrer les dessins sous les pelures de pommes de terre, pour ne pas que Junior tombe dessus en jetant sa gomme et nous fasse sa crise de l’artiste incompris.)

De même, lorsque, avec sa gouache ultra-lavable, Bébé peinture sur la table plutôt que sur la feuille, on n’intervient pas. Tant qu’on a la paix pendant quinze minutes, on laisse faire la nature. Idem si Bébé décide de se tatouer le corps avec ses crayons feutre non toxique. Il s’amuse, alors profitons-en pour chiper quelques barres Mars dans le fond de son sac d’Halloween. Veillons tout de même à ce que notre enfant ne se colore pas le dedans des yeux avec son marqueur de teinte asperge. Voir son bébé pleurer vert pendant dix minutes, c’est tout de même un peu culpabilisant, et ça nous empêche de profiter pleinement de sa dernière mini KitKat.

Certains m’accuseront de n’avoir aucune limite, allant jusqu’à dire que je n’interviendrais pas si Junior mangeait ses crayons, pourvu que je puisse terminer mon Sudoku tranquille. Alors là, je dis non. Si Junior grignote le matériel, il faut en racheter, et ça coûte quand même cher, ces cochonneries.

Enfin, tout ça pour dire que je n’ai absolument rien contre Monet et Picasso. À la limite, je serais même prête à accrocher une ou deux de leurs toiles chez moi, pourquoi pas? Mais qu’on ne vienne pas reprocher à maman Picasso d’avoir jeté les bricolages de son fils quand il était petit. Si elle les avait gardés, les amis de Monsieur et Madame Picasso auraient ri de leur bordel dans leur dos pendant des années. Et Picasso aurait peut-être pensé que c’était joli, des mobiles faits en rouleaux de papier de toilette, et à cause de cette sale manie, il n’aurait jamais connu le succès.

Sur ce, vous m’excuserez, mais y’a la petite qui s’apprête à se faire une teinture capillaire bleue avec sa peinture à doigts... le moment idéal pour moi d’aller me bricoler un petit gin tonic.