Je sais, je sais.
Cinq longs mois que je vous néglige, et tout à coup, BANG! Un billet. Ne pensez pas que je ne suis pas un peu étourdie moi aussi.
Et un billet... Mon dieu, comment dire? Un billet choquant.
Bon, c'est vrai. Nous sommes sur le Off Indigne, après tout. Il faut s'attendre à être bousculés, ici. Faut aimer l'électrochoc de la maternité
gone mad.
Et puis aussi, je vous connais, bande de coquines. On vaque à ses occupations de mère au foyer, on a l'air de ne penser qu'aux purées bio et aux couches à changer, mais dans le fond du soutien-gorge d'allaitement, on ne rêve que d'une chose: parler de sexe! (Attention hein. J'ai bien dit "parler". Parce que "faire", non. Jamais. Hum.)
Alors comme c'est bientôt Noël, je me suis dit, pourquoi ne pas aller leur titiller un peu la glande du Jean-Louis? Mais sans vous parler de Jean-Louis, hein. Oh, que non.
Ne vous inquiétez pas pour Jean-Louis, mesdames. Il va bien. Très bien. Mais entre nous deux, c'est fini. Je n'ai pas eu le choix de rompre: il a offert un slip transparent à Père indigne pour ses 40 ans. Et plus tard, dans l'intimité, Père indigne, au lieu de le brûler (le slip, pas Jean-Louis) sur l'autel de l'hétérosexualité aveugle, a eu l'audace de l'enfiler (le slip, hein, pas...). Le pire fou rire que j'ai eu de ma vie pendant les préliminaires. Ça a failli faire tout rater. Alors voilà. Exit Jean-Louis.
Mais ne dit-on pas "Le roi est mort, vive le roi?" Parce que, Mesdames, il faut que je vous présente Jean-Jules.
Jean-Jules, c'est un vieil ami. Le genre d'ami qui, au lieu de se mettre tranquillement en ménage et de faire des gentils enfants comme le font les gens les plus intelligents de la planète (nous, par exemple), continue à vivre une vie de dégénéré dans un célibat éclaté et jouissif. Euh, je veux dire, un célibat morne et triste, hein. Comme le sont tous les célibats, n'est-ce pas? Ouais, enfin bref. Jean-Jules.
Il se croit très fort, le Jean-Jules, avec ses trente-huit maîtresses dans chaque ville du monde et ses occasionnelles escapades dans des endroits sombres où on peut se faire faire des guilis-guilis par plus de dix doigts à la fois (pour moi qui suis horriblement chatouilleuse, un véritable cauchemar).
Il se croit fort, mais il y en a des bien plus fortes que lui. J'ai nommé: les mères de famille. À preuve, cette conversation que nous avons eue la semaine dernière, chez lui, lors de la pause-lunch d'une réunion de travail. Si si, de travail.
JEAN-JULES, entre deux bouchées de patates pilées -- Tu sais pas quoi, l'autre jour, j'ai parlé à une nana dans un bar. Une habituée des clubs échangistes. Et là...
MÈRE INDIGNE -- Mon dieu! Tu me fais penser. Faut absolument faire la pige pour les échanges de cadeaux de Noël. Ça s'en vient tellement vite. Bordel.
JEAN-JULES -- Allô? Tu m'écoutes? Clubs échangistes?
MÈRE INDIGNE -- Euh... Oui, oui, je... c'est justement ça que je voulais dire par "bordel".
JEAN-JULES -- Ouain. Bon, bref, j'ai parlé avec une nana dont le rêve était de se faire prendre par deux gars en même temps, au même endroit!
MÈRE INDIGNE -- Dans le club échangiste?
JEAN-JULES -- Hein?
MÈRE INDIGNE -- Quand tu dis "au même endroit", tu veux dire, dans le club échangiste?
JEAN-JULES -- (Soupir.) Oui, dans le club échangiste, mais aussi AU MÊME ENDROIT. Même. Endroit.
MÈRE INDIGNE -- Même endroit, même endroit. La zézette, genre?
JEAN-JULES -- La quoi?
MÈRE INDIGNE -- La zézette. C'est le petit mot gentil qu'on a trouvé avec les filles pour dire vag--
JEAN-JULES -- OUI! C'est ÇA. Bravo.
MÈRE INDIGNE -- C'est gagné! We did it! Hourra!
JEAN-JULES -- Euh... oui, c'est ça. You did it. Deux dans un. Peux-tu croire ça?
MÈRE INDIGNE, se resservant de la salade -- Ouais.
JEAN-JULES -- T'as pas l'air impressionnée.
MÈRE INDIGNE -- Ben non. Pourquoi?
JEAN-JULES -- La Terre appelle la Lune? Deux dans un? Même dans les films pornos, j'ai rarement vu ça.
MÈRE INDIGNE, déposant délicatement son couteau au bord de l'assiette -- Écoute, mon petit poussin. Moi, j'ai des BÉBÉS qui sont passés par là. Deux. La madame, elle sait ce que c'est, avoir du gros trafic sur l'autoroute. C'est pas deux baguettes, aussi magiques soient-elles, qui vont épater une parturiente expérimentée.
JEAN-JULES, un peu mélangé entre les métaphores de circulation et de sorcellerie -- Ouais, ouais, bon. Quoi qu'il en soit, cette femme-là, elle m'a aussi dit qu'elle était super soumise.
MÈRE INDIGNE -- Oh. Une soumise de nuit.
JEAN-JULES -- ???
MÈRE INDIGNE -- Soumise de nuit, chemise de nuit... Prrfff... Non? C'est pas drôle? Je suis sûre que Père indigne l'aimerait, pourtant...
JEAN-JULES, les yeux levés vers le ciel -- Si tu pouvais arrêter de niaiser, je pourrais te dire que ce qui la branchait vraiment, mais alors là incroyablement, c'était de se faire mettre la tête dans...
MÈRE INDIGNE, véritablement inquiète -- Pas dans le bol de toilettes?
JEAN-JULES, lâchant sa fourchette -- Dans le...? Ben là, franchement! J'essaie de créer du suspense, moi, et toi tu me parles de bol de toilettes! Comment veux-tu que je dépasse ça? T'es pas très cool.
MÈRE INDIGNE, d'un air désolé -- C'est parce que Bébé a jeté sa poupée dans les toilettes l'autre jour pour lui montrer qui était le vrai patron, et heureusement elle n'a pas tiré la chasse, mais là, la tête de la poupée a rétréci dans la sécheuse et... en tout cas. Ton histoire, ça m'a fait penser à ça.
JEAN-JULES -- ...
MÈRE INDIGNE -- Encore un peu de poulet? Patates pilées?
JEAN-JULES -- Oui. Oui. Merci. (Soupir.) C'était dans un oreiller. Qu'elle voulait mettre sa tête. La fille au bar.
MÈRE INDIGNE -- Ah, bon. C'est vrai que pour le punch, c'est un peu raté. Désolée.
Un silence. Puis:
JEAN-JULES, regardant Mère indigne d'un air sournois -- Tu sais, j'ai toujours pensé que tu ferais une superbe soumise.
Mère indigne avale la dernière bouchée de sa salade. Va mettre sous clé tout objet dont elle pourrait faire un usage abusif dans les prochaines minutes pour le regretter par la suite (couteau, fourchette, talons aiguilles, scie ronde). Puis:
MÈRE INDIGNE -- Jean-Jules, la soumise, elle a deux enfants, tu te souviens?
JEAN-JULES, l'air inquiet -- Voui.
MÈRE INDIGNE -- Alors tu sais ce qu'elle te dit, la soumise? Elle te dit de terminer ta viande et tes patates pilées. TU ME NETTOIES CETTE ASSIETTE. IMMÉDIATEMENT. Ensuite, tu me débarrasses la table. Et finalement, tu vas réfléchir dans ta chambre. Pendant une demi-heure, le temps de te calmer. Après ça seulement, tu auras la permission de revenir ici. Tu devras alors m'expliquer EN DÉTAILS pourquoi tu as été puni et quelles leçons tu en as tiré. Compris?
JEAN-JULES, fixant le sol -- Voui.
MÈRE INDIGNE -- Voui QUI?
JEAN-JULES -- Voui... madame?
MÈRE INDIGNE -- Voilà. Bien. Très bien. Et ensuite, tu me raccompagnes à la maison. Il y a du ménage à faire.