Monday, February 18, 2008

La déprime hivernale

Voici le texte de mon premier billet radiophonique d'Humeurs indignes, présenté samedi dernier lors de l'émission Nulle part ailleurs (Radio-Canada, Sudbury). Là-bas, leur festival d'hiver battait son plein.

***

Moi, je dois vous dire franchement, en tant que parent, je ne crois plus tellement à la science.

Non, mais c’est vrai : prenez la déprime hivernale.

Les scientifiques, ils disent que la déprime hivernale est due au fait que le soleil se couche tôt. Balivernes! Je vais vous dire une chose que tous les parents savent : la déprime hivernale, c’est entièrement dû aux vêtements. Je parle de ceux dans lesquels on doit, de peine et de misère, insérer nos enfants avant de pouvoir les lancer dehors.

Et la déprime hivernale chez les gens qui ont la chance, euh, je veux dire, le malheur de ne pas avoir d’enfants, elle est évidemment due à leur écoeurement de nous entendre nous plaindre sans arrêt de cette abominable situation.

En plus de se tromper sur l’origine de la déprime hivernale, la science refuse de se pencher sur une multitude de questions pratiques importantes : Pourquoi met-on systématiquement les deux jambes de notre bambin dans la même patte d’habit de neige, et ce, jour après jour et malgré nos efforts de concentration répétés? Pourquoi enfoncer un petit pied dans la seconde botte fait-il automatiquement tomber la première botte du premier pied?

Sans parler des mitaines. Les fabricants de vêtements ont compris que les parents n’avaient aucune chance de pouvoir correctement mettre le pouce des enfants de moins de six mois dans un pouce de mitaine, et ont ainsi mis sur le marché des mitaines sans pouce. Fort bien. Pour ma part, je suis d’avis que ce bannissement du pouce de la mitaine devrait être généralisé. Après tout, pas besoin de pouce pour s’amuser à nos jeux d’hiver traditionnels, comme se faire une commotion cérébrale en glissant sur une plaque de glace, ou encore jouer à cache-cache avec la souffleuse. Ôtons le fardeau du pouce dans la mitaine des épaules des parents débordés, et nous aurons fait un grand bout de chemin vers un hiver sans anti-dépresseurs.

Ah, et puis il paraît que les élections fédérales s’en viennent. Exigeons que soit présente sur la plate-forme électorale de tous les partis un projet de loi visant à interdire aux enfants d’avoir envie de pipi alors qu’on vient tout juste de finir de les habiller pour jouer dehors. Un « J’ai enviiie » susurré d’un ton geignard devrait être puni, au minimum, par une amende de 3$ prélevée de la tirelire du pipi-maniaque; cette somme servira à financer les deux Tylénols extra-forts nécessaires pour guérir le mal de tête qu’il vient de provoquer chez ses parents. Quant au terrible « j’ai fait pipi dans ma culotte » (et, par conséquent, dans mes pantalons de neige, et dans mes bottes), il devrait entraîner une détention provisoire à la maison, le temps que le tout passe à la lessive et que papa et maman oublient l’affront en sirotant tranquillement un gin-tonic.

Parfois, cependant, lorsqu’on a réussi, de peine et de misère, à les vêtir convenablement, on ne peut pas se contenter de catapulter les enfants dehors en leur souhaitant une bonne lutte pour la survie. Dans le cas des festivals d’hiver, par exemple, il faut les accompagner.

L’horreur.

Bon, c’est chouette pour les vendeurs de nourriture, les festivals d’hiver. Ils n’ont pas vraiment besoin de faire cuire les frites et les pogos qui se retrouvent de toute manière congelés à leur arrivée à la table de pique-nique. Tout comme vos doigts, d’ailleurs, qui seront encore engourdis trois jours plus tard. Et que dire des enveloppes de ketchup dont on peut sucer le contenu tout comme on le ferait avec un popsicle. Une expérience gastronomique inoubliable.

Parlant d’expérience gastronomique, le festival se poursuit et vous remarquez que votre bambin, en guise de dessert, lèche gaiement des glaçons décrochés des pare-chocs des voitures, et dont les ingrédients se retrouvent probablement sur la liste de certaines armes chimiques prohibées dans la plupart des pays du globe. Qu’à cela ne tienne, vous neutraliserez ces effets néfastes en lui offrant la classique tire d’érable.

C’est alors que vous vous apercevez que, dans l’euphorie d’avoir réussi à habiller tout le monde pour venir à la fête, vous avez oublié de passer à la banque. Après avoir payé au prix fort vos pogos congelés, il ne vous reste que 75 sous. Prix de la tire : 1 dollar. Vous négociez farouchement avec le vendeur, vous suppliez, vous gesticulez en pointant du doigt Junior qui, s’il n’a pas sa traditionnelle tire d’étable de festival, en paiera les frais chez son psychiatre pendant des années.

Et dans votre for intérieur, vous savez que s’il n’a pas sa tire, la détresse de Junior sera telle qu’il fera aussi pipi dans sa culotte. Et dans son pantalon de neige. Et dans ses bottes. Il fait -14˚, -27˚ avec le facteur vent. Vous êtes à deux kilomètres de la voiture, à 30 kilomètres de la maison. Ce que ce vendeur sans cœur vous réserve, c’est le cauchemar absolu.

Mais le vendeur, pas mauvais bougre (ou peut-être a-t-il vu la lueur sauvage de folie dans votre regard), vous offre finalement la tire gratuitement.

Et Junior, de soulagement, fait pipi dans sa culotte, son pantalon de neige, et ses bottes.

Vous prenez Junior dans vos bras et retournez vers la voiture, ne sachant trop comment vous réussirez à vous en séparer pour le mettre dans son siège, vu la tire qu’il étend consciencieusement sur vos manteaux et chevelures respectives. Vous voilà devenus jumeaux siamois fleurant bon le sucre et le fond de culotte.

C’est le cauchemar absolu.

Alors, quand les scientifiques disent que la déprime hivernale, c’est dû au soleil qui se couche trop tôt, moi, je proteste. Parce qu’au contraire, nous, les parents, épuisés par les exigences de l’hiver, nous sommes ravis que le soleil se couche pour pouvoir enfin coucher les enfants et nous étendre nous-mêmes, semi-comateux, entre des draps accueillants.

Évidemment, à cause de la maudite tire, les petits ne s’endormiront pas avant minuit, mais ça, c’est une autre histoire.

30 comments:

Anonymous said...

Haha, quel plaisir (enfin pour nous) ce Junior.
Ses pipis de plaisir n'ont rien a envier aux zizi-penis de Mathis.

N'ayant pu vous ecouter en directe j'ai apprecie de vous lire.

J'espere ne pas vous louper la prochaine fois (9H47 a Sudbury, cela correspond a quelle heure sur internet en France)

Anonymous said...

Super Billet mère indigne!!!Merci de bien commencer ma semaine ainsi ...Très réaliste ton billet.Je réalise que plus la famille s'agrandit moins ce genre de sortie m'intéresse ....je prefere les emmener glisser au parc...
Bon lundi et à bientôt,
Elyse

Ropib said...

Je pense qu'il faut inventer une moufle unique, sans pouce, sans doigt, sans jambe, sans bras: un sac et hop. Qu'il se débrouille Junior pour se mouvoir. En plus pas de tire qui tienne puisque le bras ne peux pas sortir pour la tenir.

Peut-être que dans quelques millénaires, si la nature est bien faite et que Darwin ne s'est pas trompé, les humains seront des larves jusqu'à l'âge de 20 ans et que tous les membres, y compris le zizi-pénis, sortiront d'un seul coup fonctionnels au moment de la première feuille de salaire et loin de la maison familiale.

Bon courage en tous cas car il semble que l'hiver soit quelque peu frileux chez vous. Aujourd'hui personnellement j'ai même pas pris de manteau et j'ai roulé fenêtre ouverte pour aller au boulot.

Anonymous said...

Merci d'arrêter de me faire ricaner stupidement au bureau, c'est mauvais pour ma crédibilité. Heureusement, en région parisienne pas de neige et pas de festival d'hiver.

Anonymous said...

Ce billet, c'est du sucre ! (d'érable) J'ajouterais aux divers effets néfastes déjà mentionnés, les interminables discussions avec le plus grand sur la nécessité de se couvrir convenablement "mais maman, il fait juste -15º! Pas besoin de pantalons de neige/tuque/mitaines/foulard/alouette" Sooouuupir.

Anonymous said...

détente assurée ce que tu racontes (ça fait du bien quand on a la migraine). par contre, c'est surement plus drôle à lire qu'à vivre.

Dodinette said...

aaaah mais que voilà un début encourageant, je dirais même brillant. fais gaffe MI avec des chroniques comme ça tu te mets la barre très très haut.:D
j'espère penser et pouvoir prendre le temps d'attraper la prochaine en direct...
BRAVO !!

Anonymous said...

Délicieux !!! Même si j'ai plus saisi l'esprit général que certaines spécificités hivernales locales (la tire d'érable ??? j'imagine un genre de... sucette au sirop d'érable pour le côté collant de la chose mais quid du côté qui empèche de dormir ???) :)

Ropib said...

@Ophise

Voilu la tire (qui n'a rien à voir avec le vol donc): http://www.banlieusardises.com/delices/archives/001177.html

Addicted to crafting said...

Ma chère Mere indigne, comment va eugénie? Je m'ennuie des histoires avec elle. :)

Salutations!

My said...

Je viens de te tagguer! Vas-voir sur mon blogue pour plus de détails!
www.reperetranquille.blogspot.com

Martine la banlieusarde said...

Faut bien que je lise les commentaires de la Très Indigne pour découvrir que j'ai déjà mis une recette de tire d'érable sur la neige ;-)

Unetelle said...

Enceinte, je perds déjà un pouce en enlevant mes talons. Ajoutez à ça un gros manteau de pêcheur sur glace et des bottes Sorel et je me sens grosse et... déprimée!

Le pire avec les habits de neige ce sont les foutues mitaines. On les perd, on a deux mêmes mains, une mitaine de machin à la garderie, une autre dans le fond de la voiture et quand on trouve enfin la paire, elle est trouée ou brisée! Vivement le printemps!

REGOR said...

Ah chère Mère Indigne vous nous ramenez la science à son juste niveau tel un Galilé des temps moderne.
Oui je suis un partisan de votre théorie, la déprime hivernale n'est pas causé par le manque d'ensoleilement... non c'est causé par le pipi!!! Fallait y penser.

La vie au Max said...

hahaha!!! Trop drôle!! Merci de l'écrire, car je ne peux t'entendre.. bou hou hou....

Je n'ai pas hâte d'arriver à cet étape avec mon fils l'hiver prochain...

Anonymous said...

Ah ah ah ! Pardonnez-moi, je me réjouis de n'avoir qu'un peu de pluie. Ca fait toujours des moufles et des pantalons de neige économisés !

Anonymous said...

Ah ah ah ! Pardonnez-moi, je me réjouis de n'avoir qu'un peu de pluie. Ca fait toujours des moufles et des pantalons de neige économisés !

Anonymous said...

Vous savez, MI, je suis un peu jalouse de votre succès. Oh pas parce que j'aimerai avoir le même... mais parce que ces charmants textes bien travaillés nous prive, nous pauvre lecteurs assidus, de vos délires spontanés.


J'espère que la version "live" redonne un peu de vie à la chose!

Anonymous said...

C'est bon!--j'aurais aimé vous 'entendre' le lire toutefois.
Cependant... je cherche la détresse infinie sous cette croute aigre-douce dégoulinante de bonté... et je ne la trouve pas!

Bonne chance pour le suivant--un spécial 'langue collée sur le poteau du but de hockey quand le gros Bill fait son snap-shot...', peut-être???

Sara said...

j'ai encore ris toute seule derrière mon bureau. Je suis supposée être dans un rush absolu, je vais manquer de crédibilité sous peu...

Anonymous said...

AH !!!! Quel défoulement de pouvoir écrire cela !! Avec mes 3 enfants de moins de 5 ans et ma bedaine de femme enceinte pour le 4ième ... je DÉPRIME cet hiver et j'ai bien ris ce soir :)

Que c'est vrai !!! :)

Anonymous said...

Je suis full contente d'avoir enlever mon pantalon de neige avant de te lire. Comme ça, j'ai juste mes ticollants à mettre dans la laveuse pour cause de pipi...

Lucrecia Bloggia said...

Ha,Ha,Ha!!!
"...des jumeaux siamois fleurant le bon sucre et le fond de culotte."

C'est du bonbon, ce texte!

TT02 said...

Tu lui mets des chausettes aux mains. Ni vu ni connu, j't'embrouille, puis voilà.

Anonymous said...

Je connais une autre mère indigne:Mamlynda
son blog: http://mamlynda.blogspot.com/

ses bd: "je veux un bébé moi non plus!" et
"faites des gosses qu'ils disaient (Editions Delcourt)
sont hilarantes et tellement vraies!

Anonymous said...

ça sent le vécu ! si on me proposait une solution pour hiberner je signerais tout de suite... je déteste l'hiver surtout celui-ci... pfffff j'ai l'impression qu'on n'en verra jamais la fin. Vive l'été et les terrasses.

Lissette said...

Bonjour, je vous lis depuis un certain temps et je me suis dis qu'il était peut-être temps de vous laisser un petit message. Je vous adore: dès que j'ai besoin d'un petit remontant, je passe faire un tour sur votre blog. Impossible d'être triste ou de mauvaise humeur après :)

Ludo said...

Moi je dis : et vive les couches...
Non?
Pffffffffffff... ;o)

Anonymous said...

Salut,
ravissant,ça fait du bien de rire de même!
Contre la dépression dù au «suit» de neige, ma solution: la grève (cet hivers, je ne suis pas sortie avec le p'tit, je laisse ça à Papa-pas-indigne ou à Gardienne-payée-pour-le-faire-pis-j'espère-qu'a-le-fait-même-si-y'a-personne-qui-tchèque-vu-que-c'est-en-milieu-familial-j'y-pose-pas-de-question-faqu'a-me-dit-pas-de-menterie)
Bon hiver,
moi j'hiberne (avec l'excuse que j'ai une bédaine et qui faut pas que j'glisse enceinte!)
En passant arrête avec tes jin-tonik, j'ai encore 5 mois de grossesse pis 2-3 mois d'allaitement avant de m'en envoyer un. Je suis obligé de me rabattre sur le souvenir que mes beau parent on ramené à mon chum: un gâteau au rhum, ça sent, ça goûte mais ça l'a pas d'effet sur le bébé (pas sur moi non plus!).
Bref, tes joke de gin-tonik son moins drôle enceinte!!!
Kat

Anonymous said...

Ouais ca donne le gout d'avoir des enfants... ;)