Il faut briser la routine, qu'y disent dans les magazines. Ah! Elle est bien bonne, celle-là! J'aime ça, moi, la routine. Surtout celle du dodo, pour les enfants.
Parce qu'une fois que la routine pré-sommeil est solidement établie, le chemin à suivre est simple et tout tracé:
1. On effectue la routine;
2. On garroche Bébé dans le lit;
et 3. Plus rien!
C'est fait. Bébé s'endormira tout seul et sans tracas, véritable petite image de la douceur et de la tranquillité, petit ange nocturne qui fera dodo jusqu'au lendemain matin sans même se retourner dans son lit.
Sans hurler pour avoir sa su-suce qu'il vient lui-même de jeter par terre.
Sans fracasser à répétition sa lampe sur pied contre le mur qui s'effrite, à force.
Sans nous emmerder, finalement.
...
Je ne sais pas si vous me voyez venir, chers lecteurs. Sans doute que oui, vous qui possédez la perspicacité du grand sage, vous qui savez lire l'infinie détresse qui se cache derrière mes facéties de clown de cirque.
Ce que je veux vous dire, en fait, et que vous avez déjà deviné, c'est que Bébé,
mon Bébé, n'en a rien à foutre de la routine du dodo.
Je vais vous donner un exemple. Attention, les coeurs sensibles et les couples enceints qui croient que la vie avec bébé ne sera qu'un jardin de dodos roses, n'allez pas plus loin. Car c'est l'enfer que je m'apprête à décrire.
***
Il est 20h15. Mère indigne s'installe dans la chaise berçante avec Bébé, comme elle le fait depuis deux ans et demi. Elle veut lui chanter une berceuse et la mettre au lit, comme elle le fait depuis deux ans et demi. Et, comme elle le fait depuis deux ans et demi, Bébé adopte un comportement totalement imprévisible.
Une attitude anti-routine, quoi.
Et Bébé a deux ans, comme dans "terrible two". Ça n'arrange rien, je peux vous le dire.
Mère indigne commence à se bercer avec Bébé.
Bébé -- Non. Pas besser.
Mère indigne -- Tu ne veux pas qu'on se berce ensemble? Voyons, c'est chouette, regarde...
Bébé -- Rarrête.
("Rarrête", dans le langage de Bébé, c'est l'antonyme de "Rencore".)
Mère indigne -- Bon, d'accord, on ne bouge plus... Mais Maman va te chanter une belle chanson. Àààà, la claire fontaiiiineuh, m'eeennnn--
Bébé -- Non.
Mère indigne -- Ah. Euh, tu ne veux pas que je chante "À la cl--
Bébé -- NOOOOON!
Mère indigne -- D'accord... Hum. Veux-tu que je te chante la chanson du petit navire?
Bébé -- Non. Rarrête.
Mère indigne -- Veux-tu aller dans ton lit, alo--
Bébé -- Naaaannnnn! Pas dans le liiiiit!
Mère indigne -- Tu veux une histoire?
Bébé -- Non. Pas l'histrare.
Mère indigne, d'un ton mielleux de vendeur de voiture -- Meuh oui, voyons. Tu adores les histoires. Voudrais-tu que je te raconte celle du vilain petit cana--
Bébé -- NONPALISTRARE! RARRÊTEEEEUH!!!
Mère indigne ne dit rien. Quand on manipule de la nitroglycérine, il faut savoir quand se la fermer.
Les secondes s'écoulent, et puis...
Bébé, d'une toute petite voix -- Veux l'histrare des récureuils.
Enfin, du positif! Fallait seulement savoir attendre un peu, c'est tout...
Mère indigne -- D'accord! Je vais te raconter l'histoire des écur--
Bébé, se tortillant soudainement dans tous les sens -- NIIIOOOOONNNNN! PAS L'HISTRARE DES RÉCUREUIIIIIILS!
Argh! C'était un sinistre piège! Tentons un changement de tactique radical. Endormons sa méfiance afin, ultimement, de l'endormir elle-même.
Jasons.
Mère indigne -- Tu sais, quand il n'y aura plus de neige, on va aller faire du vélo!
Bébé -- Non.
Mère indigne, désemparée -- Mais... mais tu aimes ça, faire du vélo! Avec ton casque!
Bébé -- Noooon. Ma l'aime pas le casse. Pas. De. VÉLOOOOOO!!!
Le silence s'installe dans la chambre. S'étire. Il fait noir, Mère indigne n'y voit goutte, mais elle pourrait jurer que Bébé se laisse aller à un rictus de mépris.
La meilleure solution, dans ce cas de figure, c'est la fuite. La fuite dans l'imaginaire.
Mère indigne, dans son for intérieur -- (
Alors là, quand je vais raconter ça sur le blogue, je vais écrire que j'ai dit à Bébé: "L'été prochain, on va aller dans la piscine avec Mathis", et là, ça va être super drôle parce que soudainement, Bébé va arrêter de rechigner et va dire "Mathis, il a un zizi-pénis" et c'est ÇA qui va réussir à la calmer et elle voudra enfin aller dans son lit! Hin hin hin. Et là, elle va lire mes chroniques quand elle sera ado, et elle aura SUPER HONTE, et ça, ce sera vraiment trop choueeeeette... Prends ça, Bébé! Maman is the champion, my friend... Mais là, je ne lui parlerai pas de piscine pour vrai, parce qu'y en a marre de ses zizi-pénis à gogo, ça en devient même gên--)
Bébé, interrompant ce monologue réjouissant -- Quand pus de neize, pas de vélo.
Mère indigne -- Mais non. D'accord. Plus jamais de vélo, pour la vie. À la casse, vélos maudits.
Bébé -- Quand pus de neize, ma va aller dans la piscine.
Mère indigne -- Euh... oui...
Bébé -- Avec Mathis.
Mère indigne -- Hum. Oui, avec Mathis et sa maman et son papa et sa soeur et...
Bébé -- Mathis, l'a... l'a un zizi-pénis! Mathissss, l'a un zizi-pénissss. Ma--
Mère indigne -- (
Holy COW.)
Bébé -- ...this, zizi-pénis, Mathis, zizi-pé--
Mère indigne -- Euh... Excuse-moi de t'interrompre, chérie, mais... Je me trompe, ou tu t'es calmée?
Bébé -- N'a pu de peine, ma. Veux aller dans mô lit.
Mère indigne -- Ben là! Tu m'as volé mon punch.
Bébé -- Rarrête...
***
(Oui, bon, je sais, toutes ces histoires sur les zizi-pénis, ça en devient gênant à la fin. Mais rassurez-vous: bientôt, je vais publier ici mes capsules radiophoniques, dans lesquelles je ne pense pas me laisser aller au point de raconter la ZP-obsession de Bébé. C'est triste, mais c'est comme ça. Alors dans quelques jours, je vais poster un billet 100% sans zizi-pénis, et on aura un bel équilibre! Mais d'ici là, n'oubliez pas: on peut pas le manzer.)